L’obligation faite au juge pénal de motiver les sanctions prononcées

8 août 2018

I – L’obligation faite au juge correctionnel de motiver les sanctions qu’il prononce

Le 1er février 2017, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu trois arrêts à travers lesquels elle a indiqué que pèse sur le juge répressif l’obligation de motiver les sanctions correctionnelles qu’il prononce.

Dans le premier arrêt (pourvoi n°15-83.984), elle censure l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Versailles au motif « qu’en matière correctionnelle, le juge qui prononce une amende doit motiver sa décision au regard des circonstances de l’infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur, en tenant compte de ses ressources et de ses charges. ».

Il paraît utile de préciser que la Cour de cassation a ordonné l’impression de cet arrêt et sa transcription sur les registres du greffe de la Cour d’appel de Versailles.

Dans le deuxième arrêt (pourvoi n°15-84.511), elle rejette le pourvoi formé contre l’arrêt rendu par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence au motif que les juges du fonds ont répondu à « l’exigence résultant des articules 132-1 du Code pénal et 485 du Code de procédure pénale, selon laquelle en matière correctionnelle toute peine doit être motivée au regard de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle ».

Pour rappel, l’article 132-1 du Code pénal dispose en son dernier alinéa que « dans les limites fixées par la loi, la juridiction détermine la nature, le quantum et le régime des peines prononcées en fonction des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale, conformément aux finalités et fonctions de la peine ».

L’article 485 du Code de procédure pénale indique que tout jugement doit contenir un motif et un dispositif.

Toutefois, ce même article rappelle que la lecture du jugement par le Président ou par l’un des juges peut se limiter au dispositif c’est-à-dire aux infractions dont le prévenu est déclaré coupable ou responsable ainsi que la peine, les textes de loi appliqués et les condamnations civiles.

Dans le troisième et dernier arrêt (pourvoi n°15-85.199) la Chambre criminelle de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé à l’encontre de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Rennes au même motif que dans l’arrêt précédent.

Une obligation portant sur toutes les sanctions correctionnelles…

Si le juge répressif dispose du libre choix quant aux peines qu’ils prononcent et à leur quantum, dans la limite fixée par la loi, force est de constater qu’il ne jouit plus d’une liberté totale dans la fixation de la peine.

Cela était déjà constaté par le biais des dispositions de l’article 132-19 du Code pénal qui imposent au tribunal correctionnel prononçant une peine d’emprisonnement ferme de motiver spécialement sa décision au regard des faits de l’espèce, de la personnalité de l’auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale.

De plus, par deux arrêts prononcés le 7 décembre 2016 (n°15-85.136 et 16-80.879) la Chambre criminelle de la Cour de cassation a admis un contrôle de proportionnalité de la peine prononcée par les juges du fond.

Cela se vérifie d’autant plus désormais à travers la position affirmée par la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans les trois arrêts du 1er février 2017. Désormais, le juge répressif sera tenu de motiver les sanctions qu’il prononce à l’encontre des prévenus

Si cette nouvelle obligation va bouleverser l’habitude des juges du fond – à savoir le  tribunal correctionnel et la Cour d’appel –  elle doit nécessairement entraîner une modification des pratiques des avocats pénalistes qui devront solliciter quasi systématiquement la copie du jugement ou de l’arrêt de condamnation.

Désormais le juge correctionnel doit motiver les sanctions qu’ils prononcent et ceci quand bien il ne s’agira pas d’une peine d’emprisonnement ferme ou qu’il s’agira d’une peine complémentaire.

Dans un arrêt du 9 janvier 2018, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a indiqué que cette obligation de motivation des sanctions correctionnelles vaut également pour les peines prononcées à l’encontre des personnes morales.

…mais uniquement sur les sanctions correctionnelles

L’importance de ces trois arrêts ne saurait être remise en question pour la simple et bonne raison que ces décisions ont été publiées sur le site Internet de la Cour de cassation et qu’elles sont destinées à être publiées au Bulletin.

Pour autant, il ne faut pas déduire de cette importance que la Cour de cassation entend faire peser sur tout juge répressif une obligation de motivation des sanctions rendues.

La portée de ces décisions se limite au juge correctionnel et ne saurait être étendue à la Cour d’assises.

En effet, dans trois arrêts rendus le 8 février 2017 (n°15-86.91416-80.38916-80.391) la Chambre criminelle de la Cour de cassation a a affirmé qu’en matière criminelle « en l’absence d’autre disposition légale le prévoyant, la Cour et le jury ne doivent pas motiver le choix de la peine qu’ils prononcent ».

Pire, dans un arrêt rendu le 13 décembre 2017, cette même juridiction a censuré une Cour d’assises ayant motivé les sanctions qu’elle avait prononcées.

II – L’obligation constitutionnelle faite à la cour d’assises de motiver les sanctions qu’elle prononce

La position rigoriste de la Chambre criminelle de la Cour de cassation ne l’a pourtant pas empêché de renvoyer devant le Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions de l’article 365-1 du Code de procédure pénale.

C’est ainsi que dans sa décision du 2 mars 2018, le Conseil constitutionnel dans sa décision du 2 mars 2018 a censuré l’article 365-1 du Code de procédure pénale en ce qu’il ne prévoit pas que la Cour d’assises motive les peines qu’elle prononce.

C’est au nom du principe constitutionnel de l’individualisation des peines que le Conseil constitutionnel a estimé que la Cour d’assises avait l’obligation de motiver les sanctions prononcées.

L’abrogation des dispositions litigieuses de l’article 365-1 du Code de procédure pénale ne prendra effet que le 1er mars 2019.

Il est toutefois précisé que pour les procès criminels ouverts à compter du 3 mars 2018, la Cour d’assises devra énoncer dans la feuille de motivation les principaux éléments l’ayant convaincue dans le choix de la peine.

III – Quid de l’obligation de motiver les peines d’amende ?

Le juge correctionnel et le juge criminel ont l’obligation de motiver les sanctions qu’ils prononcent. Il serait tentant de considérer que cette obligation s’impose également s’agissant des peines d’amende.

En effet le principe d’individualisation des peines s’applique à toutes les peines. L’article 132-1 du Code pénal, dans son 2e alinéa, dispose en effet que “toute peine prononcée par la juridiction doit être individualisée“.

Dans un arrêt rendu le 30 janvier 2018, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a censuré une Cour d’appel ayant reproché à un juge de première instance de ne pas avoir motivé la peine d’amende prononcée.

La Cour de cassation a en effet considéré que “les juges, en prononçant une peine d’amende pour une contravention [font] usage d’une faculté qu’ils tiennent de la loi, une peine d’amende correctionnelle ne peut être prononcée qu’en tenant compte des ressources et des charges de l’auteur de l’infraction“.


Grégory DORANGES

Avocat à la Cour 

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