Le risque pénal lié aux blocages des routes

19 décembre 2025

Depuis les mobilisations agricoles de l’hiver 2024 et les retours d’actions sur le réseau autoroutier, la question du risque pénal lié au blocage des routes s’est invitée au premier plan. Des barrages de tracteurs, des opérations escargot et des occupations de péages ont été déployés aux abords de Paris et sur de nombreux axes structurants, avec des fermetures ponctuelles d’autoroutes et des répercussions majeures sur la circulation et l’économie locale.

Ce contexte rappelle que la liberté de manifester s’exerce dans un cadre juridique précis et que le basculement dans l’illégalité peut engager des responsabilités pénales lourdes pour les participants comme pour les organisateurs.

I – LE RISQUE PÉNAL LIÉ À L’ENTRAVE À LA CIRCULATION

L’article L.412-1 du Code de la route dispose que le fait, en vue d’entraver ou de gêner la circulation, de placer ou de tenter de placer sur une voie ouverte à la circulation publique un objet faisant obstacle au passage des véhicules, ou d’employer tout autre moyen pour y mettre obstacle, constitue un délit puni de deux ans d’emprisonnement et de 4.500 euros d’amende.

Le texte prévoit, en outre, une peine complémentaire de suspension du permis de conduire pouvant aller jusqu’à trois ans.

Il convient de préciser qu’il est également prévu l’immobilisation et la mise en fourrière des engins utilisés pour le blocage.

Le fait « d’embarrasser la voie publique » en y déposant ou laissant sans nécessité des matériaux, objets, ordures ou déchets qui entravent ou diminuent la liberté ou la sûreté de passage est puni de l’amende de 4e classe. En d’autres termes, même en deçà d’un délit d’entrave, certaines occupations matérielles de la chaussée exposent déjà à une sanction.

Dans un arrêt rendu le 15 juin 2010, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a estimé que  l’obstruction volontaire des voies d’une autoroute par des manifestants à pied pendant plusieurs heures caractérise l’entrave et ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté de réunion.

La Cour européenne des Droits de l’Homme a également admis la possibilité de sanctions lorsque des blocages d’axes majeurs emportent une atteinte grave aux droits d’autrui.

Ainsi, dans un arrêt Kudrevičius et autres c. Lituanie du 15 octobre 2015, rendu à propos d’une mobilisation agricole ayant bloqué plusieurs autoroutes pendant plus de 48 heures, la Cour a estimé que les États disposent d’une marge d’appréciation pour sanctionner pénalement des blocages intégraux dès lors que les mesures sont nécessaires et proportionnées au but légitime de protection de l’ordre public et des droits d’autrui.

Lorsque des tracteurs circulent à très faible allure sur une voie rapide pour « faire ralentir » le trafic, l’infraction d’entrave peut être caractérisée si l’intention d’empêcher la circulation est manifeste et si l’autorité est contrainte de fermer l’axe, même temporairement. À l’inverse, un convoi encadré et sécurisé, maintenu sur itinéraire autorisé sans blocage total, relève moins d’une logique pénale que d’une police de circulation.

II – LE RISQUE PÉNAL LIÉ À L’ORGANISATION D’UNE MANIFESTATION NON-DÉCLARÉE

Indépendamment de l’entrave à la circulation, la réglementation des manifestations sur la voie publique impose une déclaration préalable.

Les articles L.211-1 et suivants du Code de la sécurité intérieure exigent que tout cortège, défilé ou rassemblement sur la voie publique soit déclaré à l’autorité compétente dans un délai compris entre trois jours francs au moins et quinze jours francs au plus avant la date prévue.

La déclaration indique l’identité des organisateurs, le but de la manifestation, le lieu, la date, l’heure et l’itinéraire envisagé, et donne lieu à récépissé. En cas de risques de troubles graves à l’ordre public que la simple adaptation du dispositif ne suffirait pas à prévenir, l’autorité peut interdire la manifestation. 

Le manquement à cette formalité expose les organisateurs. L’article 431-9 du Code pénal punit de six mois d’emprisonnement et 7.500 euros d’amende le fait d’avoir organisé une manifestation non déclarée, d’avoir organisé une manifestation malgré interdiction préfectorale, ou d’avoir établi une déclaration incomplète ou inexacte de nature à tromper sur l’objet ou les conditions du rassemblement.

La participation des simples manifestants obéit à une logique différente.

La règle utile à rappeler est la suivante : participer à une manifestation non déclarée n’est pas, en soi, un délit. En revanche, participer à une manifestation qui a été formellement interdite par l’autorité administrative expose à une contravention de 4e classe, prévue à l’article R. 644-4 du Code pénal

Le régime des attroupements complète ce cadre en situation de tension. Constitue un attroupement tout rassemblement sur la voie publique susceptible de troubler l’ordre public ; après deux sommations restées sans effet, il peut être dissous par la force publique. Le maintien dans l’attroupement malgré sommations peut donner lieu à des poursuites, et certaines circonstances aggravent les peines, telles que le port d’une arme en manifestation, puni de trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende. Depuis 2019, la dissimulation volontaire du visage au sein ou aux abords immédiats d’une manifestation où des troubles sont commis ou risquent de l’être est également réprimée. Là encore, ces infractions s’ajoutent, le cas échéant, à l’entrave à la circulation ou aux dégradations. Légifrance+2Légifrance+2

Sur le plan stratégique, la voie de droit en cas d’interdiction demeure le référé-liberté devant le juge administratif plutôt que le « passage en force ». Cette démarche, menée en amont, permet de contester rapidement une interdiction jugée excessive au regard des libertés de réunion et de manifestation, d’en obtenir le cas échéant l’aménagement, et d’éviter l’exposition pénale des organisateurs et participants qui résultera inévitablement d’une action maintenue malgré l’interdiction. L’expérience des derniers mouvements montre que la préparation juridique en amont, la sécurisation d’un itinéraire et la mise en place d’un encadrement visible limitent nettement les risques de bascule vers le pénal. Service Public

III – LE RISQUE PÉNAL LIÉ À LA DÉGRADATION DE BIENS DURANT LE BLOCAGE DES ROUTES

Les blocages des routes se doublent parfois de dégradations : feux de pneus ou de palettes, dépôts de matériaux, tags, ou projections de lisier sur des bâtiments.

La destruction, la dégradation ou la détérioration d’un bien d’autrui constitue un délit puni par les articles 322-1 et suivants du Code pénal. Sauf dommages légers, l’infraction est punie de deux ans d’emprisonnement et 30.000 euros d’amende.

Les peines sont aggravées notamment lorsque les faits sont commis en réunion, lorsque le bien appartient à une personne publique ou est destiné à l’utilité ou à la décoration publiques, ou encore lorsque l’auteur dissimule volontairement son visage pour ne pas être identifié.

Notons que l’article 322-6 du Code pénal prévoit que la destruction ou la dégradation par incendie ou par tout autre moyen de nature à créer un danger pour les personnes est punie de dix ans d’emprisonnement et de 150.000 euros d’amende.


Les feux de pneus ou de palettes à proximité immédiate d’usagers et d’agents d’exploitation, sans balisage ni dispositif de sécurité, sont donc concernés par cet arsenal répressif.

En pratique, les concessionnaires autoroutiers, collectivités et commerçants se constituent fréquemment partie civile pour obtenir réparation des préjudices matériels et d’exploitation. 

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Manifester, revendiquer et attirer l’attention sur la détresse d’un secteur sont des libertés et des nécessités démocratiques. Mais la paralysie volontaire des routes, spécialement des autoroutes et voies rapides, franchit très vite la ligne rouge pénale. Le délit d’entrave à la circulation coexiste avec le délit d’organisation d’une manifestation non déclarée, la contravention de participation à une manifestation interdite, le régime des attroupements après sommations, sans oublier le contentieux lourd des dégradations de biens – et parfois la mise en danger d’autrui.

Si vous êtes mis en cause pour l’une de ces infractions pénales, il est indispensable de vous rapprocher immédiatement d’un avocat spécialiste en droit pénal afin de préserver efficacement vos droits.

Doranges Avocat
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