Le secret face au droit pénal

20 décembre 2024

I – LES DIFFÉRENTS SECRETS EN MATIÈRE PÉNALE

Les secrets protégés par le droit pénal couvrent plusieurs sphères de la vie sociale et professionnelle. Chaque secret repose sur des principes fondamentaux tout en comportant des exceptions strictement encadrées par la loi.

1.1. LE SECRET DE L’ENQUÊTE ET DE L’INSTRUCTION

1.1.1. Le principe

Le secret de l’enquête et de l’instruction est un des piliers de la procédure pénale. Il est consacré à l’article 11 du Code de procédure pénale qui impose aux enquêteurs, aux magistrats, et autres personnes impliquées dans une procédure pénale de ne pas divulguer d’informations concernant une enquête en cours.

Le fondement du secret de l’enquête et de l’instruction réside dans plusieurs objectifs :

  • préserver l’efficacité de l’enquête : éviter que les suspects soient alertés, détruisent des éléments de preuve ou qu’ils prennent la fuite ;
  • protéger la présomption d’innocence : garantir que les individus mis en cause ne soient pas stigmatisés avant qu’une décision définitive ne soit rendue ;
  • assurer la sérénité des débats judiciaires : empêcher les pressions médiatiques ou sociales susceptibles de compromettre le bon fonctionnement de la justice.

1.1.2. Les exceptions

Bien que le secret soit une règle fondamentale, la loi prévoit des dérogations dans certains cas :

  • les droits de la défense : le premier alinéa de l’article 11 du Code de procédure pénale prévoit que “sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l’enquête et de l’instruction est secrète” ;
  • les besoins de l’information publique : en vertu du deuxième alinéa de l’article 11 du Code de procédure pénale, le procureur de la République peut, « si l’intérêt de l’enquête le justifie », communiquer certains éléments à la presse. Cependant, cette communication doit être parcimonieuse et ne pas compromettre le bon déroulement de l’enquête.

1.2. LE SECRET PROFESSIONNEL DE L’AVOCAT

1.2.1. Le principe

Le secret professionnel de l’avocat est un fondement de l’exercice de cette profession. Il garantit à chaque individu la possibilité de se confier à son avocat en toute sécurité, sans crainte que ces confidences soient révélées.

L’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 énonce que ” en toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l’avocat et ses confrères à l’exception pour ces dernières de celles portant la mention ” officielle “, les notes d’entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel“.

Contrairement à une idée reçue, le secret professionnel ne vise pas à protéger l’avocat mais à protéger les clients qu’il conseille et qu’il défend.

Conformément aux dispositions de l‘article 4 du Décret du 30 juin 2023 portant Code de déontologie des avocats,le secret professionnel de l’avocat est d’ordre public, absolu, général et illimité dans le temps“.

Ce texte prévoit également que l’avocat ne peut être relevé du secret professionnel par son client ni par quelque autorité ou personne que ce soit, sauf dans les cas prévus par la loi.

1.2.2. Les exceptions

Les exceptions au secret professionnel de l’avocat sont strictement limitées c’est notamment le cas en cas de participation de l’avocat à une infraction pénale.

En effet, si un avocat est impliqué dans la commission d’une infraction pénale, il ne peut invoquer le secret professionnel pour se soustraire à des investigations pénales.

Dans un arrêt rendu le 18 décembre 2024, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a estimé qu’il ne résulte pas “de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme l’interdiction d’utiliser contre le client d’un avocat les propos échangés entre eux sur une ligne téléphonique placée sous écoutes dès lors que ces propos révèlent des indices de nature à faire présumer la participation de l’avocat à une infraction pénale et qu’ils sont étrangers aux droits de la défense“.

1.3. LE SECRET MÉDICAL

1.3.1. Le principe

Le secret médical repose sur une obligation déontologique et légale inscrite à l’article L.1110-4 du Code de la santé publique. Il vise à protéger la vie privée des patients et à garantir la confidentialité des informations relatives à leur état de santé.

Ce secret s’applique à tous les professionnels de santé et concerne les diagnostics médicaux, les traitements suivis ainsi que les informations confiées par le patient au professionnel de santé.

Le deuxième alinéa de cet article L.1110-4 du Code de la santé publique dispose en effet que “excepté dans les cas de dérogation expressément prévus par la loi, ce secret couvre l’ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel, de tout membre du personnel de ces établissements, services ou organismes et de toute autre personne en relation, de par ses activités, avec ces établissements ou organismes. Il s’impose à tous les professionnels intervenant dans le système de santé“.

1.3.2. Les exceptions

Des exceptions encadrées permettent de déroger au secret médical :

  • le consentement du patient : un patient peut autoriser la divulgation de son dossier médical ; 
  • la protection des tiers : l’article 226-14 du Code pénal permet aux médecins et à tout professionnel de santé de signaler des cas de violences subies par un mineur ou par une personne vulnérable. Il résulte en effet des dispositions de l’article R.4127-44 du Code de la santé publique que lorsqu’un médecin discerne qu’une personne auprès de laquelle il est appelé est victime de sévices ou de privations, et qu’il s’agit d’un mineur ou d’une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique, il alerte les autorités judiciaires ou administratives, sauf circonstances particulières qu’il apprécie en conscience.
  • les enquêtes judiciaires : dans certains cas, les autorités judiciaires peuvent ordonner la levée du secret médical, notamment dans le cadre d’expertises médicales.

Dans un arrêt rendu le 15 octobre 2024, le Conseil d’État a apporté une distinction entre les certificats médicaux et les signalements adressés par les médecins aux autorités compétentes.

Un courrier adressé par un médecin à une autorité compétente, comme le juge des enfants, afin de faire état d’un risque de sévices ou de privation pour le patient mineur constitue un signalement qui n’est pas soumis au secret médical. Dans le cadre de ce signalement, le médecin peut donc faire état de tous les éléments utiles qu’il relève ou qu’il suspecte.

À l’inverse, un certificat médical remis par ce même médecin aux parents de son patient mineur est soumis au secret médical et doit de ce fait se limiter aux seules constatations médiales. 

1.4. LE SECRET DES SOURCES DES JOURNALISTES

1.4.1. Le principe

L’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 précise que le secret des sources des journalistes est protégé “dans l’exercice de leur mission d’information du public”.

Pour rappel, est considérée comme journaliste, au sens de cet article, “toute personne qui, exerçant sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, de communication au public en ligne, de communication audiovisuelle ou une ou plusieurs agences de presse, y pratique, à titre régulier et rétribué, le recueil d’informations et leur diffusion au public“.

Le secret des sources protège l’identité des informateurs ainsi que les documents ou informations obtenues par le journaliste dans l’exercice de ses fonctions.

1.4.2. Les exceptions

Le secret des sources n’est pas absolu. 

Il peut ainsi être porté atteinte directement ou indirectement au secret des sources que si un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi.

Il peut également être porté atteinte au secret des sources au cours d’une procédure pénale. L’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 précise qu’il est tenu compte “pour apprécier la nécessité de l’atteinte, de la gravité du crime ou du délit, de l’importance de l’information recherchée pour la répression ou la prévention de cette infraction et du fait que les mesures d’investigation envisagées sont indispensables à la manifestation de la vérité“.

1.5. LE SECRET DE LA CONFESSION

1.5.1. Le principe

Le secret de la confession est une obligation sacrée pour les confesseurs (prêtres, ministres du culte, etc.). Il garantit la confidentialité absolue des confidences faites par un fidèle à son confesseur.

Le Code de droit canonique prévoit en son canon 983 que “le secret sacramentel est inviolable ; c’est pourquoi il est absolument interdit au confesseur de trahir en quoi que ce soit un pénitent, par des paroles ou d’une autre manière, et pour quelque cause que ce soit“.

Le secret de la confession est protégé par les dispositions de l’article 226-13 du Code pénal au même titre que le secret professionnel.

1.5.2. Les exceptions

Les exceptions au secret de la confession sont rares mais, en tout état de cause, le secret de la confession ne saurait être davantage protégé que le secret professionnel de l’avocat ou que le secret médical.

Le secret de la confession n’exonère donc pas le confesseur de la responsabilité pénale qu’il peut engager sur le fondement des dispositions de l’article 434-1 du Code pénal.

1.6. LE SECRET BANCAIRE

1.6.1. Le principe

Le secret bancaire est une obligation légale imposée aux établissements bancaires et à leurs salariés. Il vise à interdire la divulgation d’informations confidentielles de leurs clients à des tiers sans autorisation.

Il est prévu à l’article L.511-33 du Code monétaire et financier.

Cette confidentialité couvre notamment les informations sur les comptes, les dépôts et les opérations effectuées par le client.

1.6.2. Les limites

Il existe trois limites au secret bancaire :

II – LES INFRACTIONS LIÉES À LA VIOLATION DU SECRET

2.1. LA VIOLATION DU SECRET DE L’ENQUÊTE OU DU SECRET DE L’INSTRUCTION

L’article 11 du Code de procédure pénale interdit la divulgation d’informations liées à une enquête pénale ou à une instruction en cours. Une violation de ce secret peut entraîner des sanctions disciplinaires – pour les professionnels visés par cet article – ou des poursuites pénales.

Conformément aux dispositions de l’article 5 du Décret du 30 juin 2023 portant Code de déontologie des avocats,l’avocat respecte le secret de l’enquête et de l’instruction en matière pénale, en s’abstenant de communiquer, sauf pour l’exercice des droits de la défense, des renseignements extraits du dossier, ou de publier des documents, pièces ou lettres intéressant une enquête ou une information en cours“.

2.2. LA VIOLATION DU SECRET PROFESSIONNEL DE L’AVOCAT

Conformément à ses règles déontologiques, l’avocat ne peut, en aucune matière, divulguer des éléments en violation du secret professionnel. Ceci sous réserve des strictes exigences de sa propre défense devant toute juridiction et des cas de déclaration ou de révélation prévues ou autorisées par la loi.

Dans un arrêt rendu le 18 décembre 2024, relative à une affaire très médiatisée mettant en cause un ancien Président de la République, un avocat et un ancien magistrat de la Cour de cassation, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a été amené à statuer sur le délit de violation du secret professionnel par un avocat et sur le délit de recel de violation du secret professionnel par le client :

“dès lors qu’un arrêt débattu et rendu en chambre du conseil par une chambre de l’instruction dans le cadre d’une procédure d’instruction est notifié à l’avocat d’une partie en application de l’article 217 du code de procédure pénale, il constitue une information à caractère secret dont l’avocat a eu communication en raison de sa profession et dont la révélation est interdite en application de l’article 226-13 du code pénal, la circonstance que ce document soit ou non couvert par le secret de l’instruction étant indifférente”.

L’avocat qui viole son secret professionnel encourt des sanctions disciplinaires mais également des sanctions pénales sur le fondement de l’article 226-13 du Code pénal.

2.3. LA VIOLATION DU SECRET MÉDICAL

La divulgation illicite d’informations médicales est également punie par les dispositions de l’article 226-13 du Code pénal.

III. FOCUS SUR L’ARTICLE 226-14 DU CODE PÉNAL

3.1. PRÉSENTATION DE L’ARTICLE 226-14 DU CODE PÉNAL

L’article 226-14 du Code pénal prévoit des cas dans lesquels la divulgation d’informations couvertes par le secret professionnel ne constitue pas une infraction pénale. Il s’agit d’un dispositif législatif permettant de concilier le respect du secret professionnel avec d’autres nécessités d’intérêt général.

Il résulte donc de cet article que le principe du secret professionnel n’est pas absolu.

Les cas spécifiques prévus par cet article autorisent, voire imposent, la divulgation de certaines informations sensibles. Ces exceptions concernent principalement les situations où le silence pourrait mettre en danger la vie ou la sécurité d’autrui.

3.2. LES PRINCIPALES EXCEPTIONS POSÉES PAR L’ARTICLE 226-14 DU CODE PÉNAL

3.2.1. La protection des mineurs et des personnes vulnérables

Les mineurs en danger

L’article 226-13 du Code pénal n’est pas applicable “à celui qui informe les autorités judiciaires, médicales ou administratives de maltraitances, de privations ou de sévices, y compris lorsqu’il s’agit d’atteintes ou mutilations sexuelles, dont il a eu connaissance et qui ont été infligées à un mineur ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique“.

Cette exception vise à permettre aux professionnels, notamment aux médecins, enseignants ou travailleurs sociaux, d’alerter les autorités compétentes sans craindre des sanctions pénales.

Les adultes vulnérables

L’article 226-13 du Code pénal n’est pas applicable “au médecin ou à tout autre professionnel de santé qui, avec l’accord de la victime, porte à la connaissance du procureur de la République ou de la cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l’être, ou qui porte à la connaissance de la cellule prévue à cet effet les sévices, maltraitances ou privations qu’il a constatés, sur le plan physique ou psychique, dans l’exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises. Lorsque la victime est un mineur ou une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique, son accord n’est pas nécessaire”.

3.2.2. Les violences conjugales

L’article 226-13 du Code pénal n’est applicable “au médecin ou à tout autre professionnel de santé qui porte à la connaissance du procureur de la République une information relative à des violences exercées au sein du couple, lorsqu’il estime en conscience que ces violences mettent la vie de la victime majeure en danger immédiat et que celle-ci n’est pas en mesure de se protéger en raison de la contrainte morale résultant de l’emprise exercée par l’auteur des violences. Le médecin ou le professionnel de santé doit s’efforcer d’obtenir l’accord de la victime majeure ; en cas d’impossibilité d’obtenir cet accord, il doit l’informer du signalement fait au procureur de la République“.